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Résistance

170696main_pia09181-516.jpgde Philippe Roux

Du mythe positif
Tout d’abord il faut penser qu’il y a une confusion entre le mot de « résistance » et l’acte.
D’où la nécessité de l’analyse du poème Victoire de Pasolini ainsi qu’un de ses rares corollaires cinématographiques : L’armée des ombres de Melville (1). Ces œuvres sont à envisager ici comme des archétypes de l’acte et du mot « résistance mythologique ». Ils sont un espace de définition possible qui nous permet de nommer cette nébuleuse que l’on nomme aujourd’hui encore « la résistance ».
Il est nécessaire de savoir qu’en France, le mot « résistance » a subi une réappropriation qui porte à confusion. En effet, quand Deleuze a qualifié comme « acte de résistance » l’acte de création, qui aurait pour fonction, entre autres, de résister à la bêtise, il a défini la résistance comme une mécanique d’opposition. Dans ce sens, l’utilisation de ce mot peut se justifier. Mais il semblerait que le mot et l’agir se sont désubstantialisés dans une utilisation abusive. D’où la nécessité de définir la résistance comme mythe positif, qui n’impliquerait pas le fait de résister en créant ou œuvrant à la pensée, qu’elle soit picturale, philosophique, cinématographique, ou militante – là, on est dans la résistance mécanique. Le propos de ce texte est de « définir » la résistance comme point d’acmé de la dignité.
C’est en ce sens que le poème Victoire de Pasolini, écrit en 1956, ainsi que le film de Melville tourné en 1961 apparaissent aujourd’hui comme un miroir sémiologique.
Ces œuvres sont le « ça a été » de la résistance mythologique, et ils nous montrent ou nous font entendre ce que j’appelle la « mythologie positive », tout en nous démontrant qu’il est extrêmement dangereux d’utiliser le mot « résistance » à tout va.

Le mythe et le réel – Sisyphe et son rocher
Qu’est-ce que le rocher de Sisyphe ? C’est un rocher que j’envisage ici du côté du réel, de l’activisme politique, un rocher du côté de la création comme résistance définie par Deleuze.
Melville est au-delà du rocher : il ne nous dit pas que les résistants étaient des gens qui avaient peur – c’est une évidence qu’ils avaient peur. Il ne nous dit pas que les résistants étaient des gens qui mouraient de doute, c’est évident qu’ils doutaient. Il ne nous dit pas qu’ils étaient perclus dans des conditionnements très complexes – c’est évident parce que tellement humain.
Il nous dit : ces corps sont des corps hiératiques, ils sont signes de représentation du sacré (2). Corps flottants, corps mythologiques, qui incarnent, telle une chorégraphie, les gestes de la dignité ; ce mode de représentation est nécessaire : ce sont des gestes/corps religieux, où « religieux » veut dire « faire lien »… Mais faire lien avec quoi ?
Avec un désir de corps social, ce corps social qui manquera tout le temps. Ces corps/gestes résistants s’adressent à lui, dans un « malgré tout » constant mais discontinu, car le corps social n’est qu’humain, il fait son métier d’humain tout simplement, plus ou moins bien.

Le corps résistant ne peut qu’être silencieux
C’est pourquoi les personnages qu’interprètent Lino Ventura et Simone Signoret entre autres, sont toujours filmés dans un silence qui contient la gravité de ce qu’ils font. Comme si seul le silence, dans sa dimension métaphysique, était la musique du “faire lien” social. Ces corps hiératiques ne sont plus des hommes, ce sont des idées. Ils viennent d’un « par-delà » métaphysique. Mais attention : cette métaphysique est une métaphysique sans dieu (2). Elle « ne combat pas l’arrière-monde, comme le dit Nietzsche, parce qu’il n’y a pas d’arrière-monde ».
Elle combat dans la frontalité d’un face à face sans concession avec la barbarie.
Corps frontaux.
Corps front, tel Sisyphe contre la réalité du rocher qui est faite de résignation, de compromis, mais aussi d’art, de création, à savoir, d’un réel au travail, tout simplement.
La mythologie du corps résistant est consacrée, intangible dans son héroïsme factuel, et s’il y a donc une possibilité de s’identifier à cette résistance, c’est au-delà du réel, dans un temps d’ailleurs, mais en aucun cas dans un temps de tous les quotidiens et de toutes les créations et de tous les actes mécaniques de résistance.

À l’inaccessible saveur de l’épopée
Pasolini est le poète de « la force du passé, plus moderne que les modernes », comme il le dit. Cette force du passé s’incarne, telle une épopée, à travers le combat mythique de Victoire, grand poème du mythe positif de la résistance, où il imagine des jeunes résistants qui descendent dans une vallée après avoir cassé leurs tombeaux, telles des dalles de la mélancolie. « La liste de ces dalles de noms se fend, les couvercles des tombes volent en éclats et les jeunes cadavres sortent et descendent les escarpements des vergers, des collines, pour aller voir ce qu’on a fait de leurs idées. »
« Des jeunes gens avec dans leurs yeux quelque chose d’autre que l’amour, une folie secrète, celle d’hommes qui luttent, comme appelés par un destin différent du leur. » (C’est-à-dire un destin qui dépasse l’humanité, universel, mais qui est inaccessible dans sa saveur).
Analysons deux autres vers, qui sont pour moi l’expression la plus belle que le mythe positif de la résistance tend à notre présent réel mais néanmoins perpétuellement discontinu. “Il ferait beau voir qu’on ait le courage de leur dire (à ces résistants) que l’idéal qui brûle en secret dans leurs yeux est révolu, qu’il appartient à d’autres temps, que les fils de leurs frères déjà depuis des années ne luttent plus, que l’histoire changeante et cruelle a fourni d’autres idéaux, les a doucement corrompus”.
On voit ici la nostalgie de Pasolini se traduire en doute. Ce doute c’est qu’on n’aurait rien fait de l’idéal de la résistance. Mais, rétrospectivement, on peut lui dire que la résistance ne peut être défaite car elle a gagné l’ultime victoire: celle qui va au-delà de toutes les corruptions. L’idéal y étant à la fois réalisé (la victoire), et désincarné (le mythe). C’est pourquoi elle ne peut être le contrechamp de ce qui fournit d’autres idéaux, puisque c’est le champ de l’idéal : l’idéal mythologique. C’est pourquoi la résistance telle que Deleuze la conçoit ne peut hiérarchiquement participer à la même électivité. La résistance peut toujours se rejouer et doit être poursuivie, mais le danger serait de déhiérarchiser les actes qui induisent la résistance.

Au secours. Vérité jamais
Dans un autre vers, Pasolini nous rappelle que les pauvres pleurent encore, que « rien n’a changé la qualité du savoir, éternel prétexte, forme utile et douce au pouvoir. Vérité jamais. » Mais là encore, ce qui peut apparaître comme une défaite de la résistance, rétrospectivement, est une victoire, car si la vérité n’existe jamais dans le réel (l’omniprésence discontinue du rocher), elle a existé ou été vue tel Sisyphe dans la fatalité tragique de la résistance.
À la fin du poème, Pasolini nous laisse entendre le départ de la « vérité », il s’en émeut en ces termes :
« Ils s’en vont, au secours, ils nous tournent le dos, leurs dos vêtus de vestes héroïques, de mendiants, de déserteurs, elles sont si tranquilles les montagnes vers lesquelles ils s’en vont. Elle bat si légère à leurs flancs, la mitraillette, tandis qu’ils marchent comme on marche au coucher du soleil, sur les formes inchangées de la vie, redevenue la même en bas et en profondeur ». Redevenue la même en bas et en profondeur. « Au secours ils s’en vont. Ils retournent à leur silencieux séjour. »
Certes, cet « au secours », pourrait être positivé. La résistance s’est concrètement inscrite dans le réel. Encore une évidence, me diront les euphémistes, et de façon objective. Je sais ce que la France et l’Italie doivent à la résistance comme acquis sociaux et moraux, mais le mot « résistance » et l’acte de résistance défient tout entendement. Donc le « au secours » pasolinien, devrait plutôt être entendu comme s’adressant aux hommes qui, humblement, « résistent », telle une mécanique, tentant de lutter et de comprendre les nombreuses injustices de l’humanité.
Mais encore une fois, ceci n’est pas la vocation du résistant mythologique. C’est simplement la vocation des êtres pensants. Créer, œuvrer, lutter n’est ni plus ni moins que faire son travail d’être respectable, le respect de l’autre et par l’autre, en cherchant à atteindre, dans l’incomplétude du vivant, la complétude d’un devenir perpétuel. Ce devenir perpétuel a une forme : c’est le mythe positif, le seul qu’il nous reste.

(1) Il m’a semblé plus pertinent de faire correspondre le poème de Pasolini avec le film de Melville et non ceux de Rossellini comme Païsa ou Rome, ville ouverte qui pourraient, certes, apporter un éclairage différent sur le mythe positif de la Résistance, mais qui l’inscriraient trop dans la réalité politique de l’Italie.
(2) Les mots « sacré » et « métaphysique » sont à prendre dans le sens heideggérien, à savoir que la métaphysique et le sacré ne sont plus l’exclusivité du religieux. Le religieux peut donc ici être un faire-lien sans métaphysique, et la métaphysique un ailleurs sans dieu. La « teneur de vérité » de cet ailleurs ne s’enracine donc pas dans un indicible nébuleux.
Il n’a que pour cause juste et indiscutable ni Dieu ou autres héros nordiques, mais le combat que de femmes et d’hommes, dans une période déterminée (1940-45), ont, au péril de leur vie, acté de gestes « simples », devenus aujourd’hui ce mythe positif.

Ici le premier volet de cet essai

foto www.nasa.gov

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